Il a d’abord été un chasseur-cueilleur, puis un agriculteur et le bâtisseur des premières Cités, puis des cathédrales. Durant la Renaissance, il fut un « honnête homme », c’est-à-dire celui qui avait une « teste bien faicte » (Montaigne). Puis, durant l’ère industrielle, il fut un ouvrier dans une usine. Avec la société de la connaissance, le citoyen devient maintenant un travailleur de l’information et un cybernaute (chapitre 4, no 8).

Je suis parce que nous sommes.

(Nelson Mandela, Ubuntu)

Durant des millénaires, l’individu a vécu dans un clan où tous les membres avaient le même patronyme. Puis, quand il a appartenu à une nation, avec les gens de son milieu proche, il a su épouser ses guerres et ses crises grâce à son fort sentiment d’appartenance.

Maintenant, il doit apprendre à vivre seul dans cette nouvelle société. Lui travaille d’un côté et son épouse travaille de l’autre. Les enfants sont envoyés en garderie le matin, tandis que les vieux ont été placés dans un mouroir. Il ne se reconnaît plus dans ses ados. S’il veut leur parler, il est obligé de prendre rendez-vous via un smartphone, car ceux-ci ne parlent qu’aux autres ados.

Ses parents ont connu la messe paroissiale du dimanche, l’encadrement parental des troupes de scouts et des clubs locaux de hockey mineur, l’émission de télévision qu’on regardait en famille dans l’unique appareil situé dans le salon familial, etc. Aujourd’hui, il y a bien l’Internet, mais on y navigue plutôt seul. S’il participe à de grandes fêtes réunissant 100 000 personnes, il s’en retourne chez-lui, seul, après trois heures. Le tissu social s’est effiloché : l’urbanisme l’a forcé à déménager dans un quartier qui n’est plus gérable, donc qui n’est plus vivable, tandis que l’immigration lui a imposé des voisins avec lesquels il n’a rien en commun.

Le modèle économique de l’ère industrielle ne reconnaît que son « Je » ; la publicité l’a atomisé pour mieux lui vendre ses produits de consommation : des petits pois et des députés (s.v.p. pas de contenus que des images !). Les informations qui lui parviennent en petites séquences de quelques secondes n’ont aucun sens pour lui, elles contribuent plutôt à accentuer sa solitude :
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It’s not about belief, but behaviour.

(Al Gore)

Cette solitude lui pèse : il est inquiet. Il intuitionne que d’importants changements sont en cours et que ses élites politiques et économiques vont lui faire porter tout le fardeau des changements. Il sent que les sacrifices demandés seront tellement élevés qu’il sera obligé d’emprunter sur l’héritage qu’il destinait à ses petits-enfants.

L’homme continue d’être un inconnu dont on ne connaît relativement bien que les pièces détachées.

(André Leroi-Gourhan)

C’est un être qui n’a plus de rêve

Un individu vit parce qu’il a un ou des rêves. Aujourd’hui, il n’a plus de rêve, car il a perdu confiance dans ses dirigeants. Il est surendetté et surbureaucratisé, sans espoir de s’en sortir, car sa classe sociale ne « monte » plus dans la société.

Les médias de masse le prennent pour une valise : on le remplit quotidiennement de scandales, de rumeurs et de publicité et, ici et là, de quelques informations plus ou moins validées. En fait, ces médias ne font qu’alimenter une crise du superflu. Il sait qu’on empiète sur sa vie privée sans qu’il puisse n’y faire quoi que ce soit. Il sait qu’on écoute probablement ses communications privées au nom de l’antiterrorisme qui a remplacé cette autre peur d’il y a 30 ans, le communisme (chapitre 3, no 15). D’ailleurs, ce n’est que le début ; il intuitionne que les TI (les senseurs, les caméras de surveillance, les drones, les cookies, etc.) vont grignoter encore plus sa vie privée durant les années à venir.
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Il sent qu’il affronte une atomisation générale.

Sa colère grandit. Elle est feutrée en ce moment (voir plus loin). Néanmoins, parce que les gouvernants réagissent à ses demandes de dialogue par les gaz lacrymogènes et la police, la réaction viendra : s’il n’y a pas bientôt de changement, ce seront les Blacks blocs, le nihilisme ou l’anarchie ! Déjà, certains citoyens sautent une coche, prennent leur fusil et se mettent à tirer. Les médias de masse se demandent pourquoi ?